Michel Leiris
↗ 1932 (04) ↘ 1933 (02)
A propos de la Mission Dakar-Djibouti
Marcel Griaule doit sa formation d’ethnologue et de philologue à Marcel Mauss et à Marcel Cohen. Début 1928, avec les conseils de ses maîtres, il publie dans le Journal asiatique les notes recueillies au cours d’une enquête menée à Paris auprès de Agaññahou Engeda, un lettré et artiste éthiopien étudiant à Paris, qu’il intitule Mythes, croyances et coutumes du Bégamder (Abyssinie). Avec le même informateur, il traduit un carnet de recettes d’un dabtara que Marcel Griaule a rapporté de sa mission en Ethiopie. Ce travail est publié, en 1930 sous le titre Le livre de recettes d’un dabtara abyssin.
Il effectue sa première mission en Abyssinie, dans le Godjam du ras Haylu du 25 septembre 1928 au 5 août 1929. Sa deuxième mission en Abyssinie fait partie de celle, plus large et mémorable, dénommée la Mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti qui durera près de deux ans, du 19 mai 1931 au 17 février 1933. Griaule recrute Leiris comme secrétaire-archiviste et enquêteur.
Après avoir traversé l’Afrique, la mission entre en Ethiopie par Gallabat le 20 avril 1932. Elle rencontre des difficultés que l’on attribue aux relations que Griaule avait avec le ras Haylu, tombé en disgrâce pour avoir conspiré avec lidj Yasou. Ce dernier s’échappe mais est rapidement rattrapé. La mission est rejointe par l’ethnologue Deborah Lifszyc et le peintre Gaston-Louis Roux. Leiris tient un journal sans concession, sans filtre dirait-on aujourd’hui. Il contient les notes prises au cours de ses enquêtes sur la possession, ses impressions, ses états d’âmes. Les enquêtes se rapportent essentiellement à la croyance aux génies zar à Gondar et sont menées du 1er juillet au 5 décembre 1932. Les protagonistes sont principalement une Ethiopienne dénommée Mälkam Ayyälu et sa fille Emawayish. Leiris ne parlant pas l’amharique, il est accompagné par Abba Jérôme qu’il présente comme un grand lettré abyssin, prêtre catholique interdit par Rome, appartenant au ministère des Affaires étrangères éthiopiens.
La mission quitte Gondar chargée d’artefacts de toute sorte, certains acquis de manière cavalière. L’exemple le plus parlant est le pillage des peintures de l’église Abba-Antonios de Gondar et leur remplacement par des copies peintes in-situ par Roux, aidé de Griaule et Lutten. Elle rejoint Massaouah, Djbouti et Addis Abéba. Griaule est décidé à demander 150’000 thalers d’indemnités à l’empereur pour les incidents avec les Ethiopiens. De son côté, Hailé Sélassié croit que la mission a tenté d’introduire des armes, pillé plus ou moins les églises, acheté des esclaves. Revenant d’Aden, l’empereur accorde un entretien à Griaule et Leiris à Djibouti qui finalement ne mènera à rien.
Michel Leiris à son retour en France
De retour en France, Leiris prépare avec Skira le numéro 2 de la revue Minotaure, édité à 4000 exemplaires et entièrement consacré aux travaux de la Mission et dont le sommaire contient :
a) P. Rivet, G.H. Rivière : La mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti.
b) M. Griaule : Introduction méthodologique.
I. E. Lutten : Les « wasamba » et leur usage dans la circoncision.
II. M. Griaule : Le chasseur du 20 octobre.
III. A. Schaeffner : Notes sur la musique des populations du Cameroun septentrional.
IV. D. Lifszyc : Amulettes éthiopiennes.
V. M. Leiris : Le taureau de Seyfou Tchenger.- Documents.
Leiris commence à suivre les cours de Marcel Mauss. En avril 1934, il publie son journal qui donne la chronique détaillée des mois passés à Gondar. L’Afrique fantôme (De Dakar à Djibouti, 1931-1933) paraît chez Gallimard, sans refonte. Le livre est très mal accueilli par Griaule qui rompt toutes relations avec Leiris. A 35 ans, le trublion s’inscrit en licence ès lettres à la Sorbonne et il obtient, en l’espace de 2 ans, les certificats d’histoire des religions, de sociologie, d’ethnologie ainsi que le diplôme en langue amharique. En mars 1938 paraît La Croyance aux génies zar en Ethiopie du Nord. Fin 1941, L’Afrique fantôme est interdit de vente et Gallimard est enjoint de mettre au pilon le reliquat de la première édition. En 1958, Leiris publie La Possession et ses aspects théâtraux chez les Ethiopiens de Gondar. Ces deux livres seront réédités. Michel Leiris meurt en 1990 en léguant sa bibliothèque et la majeure partie de ses manuscrits et de sa correspondance à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. En 1996, Jean Jamin réunit des textes fondamentaux, parfois inédits, que Michel Leiris a consacrés à L’Afrique dans Miroir de l’Afrique, édité majestueusement chez Gallimard dans la collection Quarto. Ce travail est indispensable à l’Ethiopisant s’intéressant à la Mission Dakar-Djibouti.
Marcel Griaule à son retour en France
Marcel Griaule ne perd pas de temps avant de mettre sous presse Silhouettes et graffiti abyssins, Larose, 1933. L’introduction, signée par Mauss et Griaule, avertit le lecteur qu’il ne s’agit que d’une présentation de documents ramenés par Griaule de sa première mission. Une année plus tard, à la sortie du journal inclassable de Leiris, Griaule confie à Calman-Lévy Les Flambeurs d’hommes : le récit de sa première mission en Ethiopie. Dans l’avertissement qui ouvre le livre, il rappelle l’amitié qui le lie au ras Haïlou [Haylu Täklä Hamanot] et dénonce sa condamnation à la prison à vie par l’empereur Haïlé Sélassié. En 1936, il publie La peau de l’ours (Gallimard) pour expliquer son engagement aux côtés de l’émissaire éthiopien à la SDN, Takla Hawariatt. Il est à Genève depuis juillet 1935 et considère le bout du Léman comme « un terrain ethnographique d’un genre particulier mais passionnant ». On lui demande d’expertiser le mémoire italien sur la situation intérieure en Ethiopie ce qu’il lui permet une revanche contre Le dernier rempart de l’esclavage publié par Baravelli.
Déborah Lifchitz à son retour en France
Déborah Lifchitz participe à la rédaction du Minotaure n° 2, donne des conférences (cf. Cahier Dakar-Djibouti) et publie 1940 Textes éthiopiens magico-religieux. La même année, elle aurait dû faire paraître dans le Journal des Africanistes son dernier ouvrage : Le livre d’Emmanuel. Déborah Lifchitz a été arrêtée en février 1942 et déportée en septembre au camp d’Auschwitz où elle a été gazée dès l’arrivée. En 1948, son professeur, Marcel Cohen, se chargera de réaliser les dernières volontés de l’ethnologue.
A propos de la mission
En 2015, le Cahier Dakar-Djibouti paraît et offre un corpus de 77 textes écrits (partiellement ou entièrement) par des membres de la mission. Les chercheurs qui ont collaboré à cet ouvrage ont signé leurs contributions de leur nom ou de leurs initiales. La majorité des chapeaux reste en revanche l’œuvre des éditeurs scientifiques, Eric Jolly et Marianne Lemaire. Parmi les chercheurs ayant apporté leur connaissance de l’Ethiopie, on relèvera la collaboration de Claire Bosc-Tiessé, Anaïs Wion et Makeda Ketcham. En ce qui concerne les textes, le Cahier Dakar-Djibouti permet de redécouvrir le récit de voyage de Déborah Lifchitz et de Gaston-Louis Roux d’Addis-Abeba à Gondar, comprenant la traversée du lac Tana en pirogue de roseaux pendant 3 jours. Roux raconte l’assassinat d’Alfredo Peluso et son double enterrement.
Biblethiophile, 05.11.2021, mis à jour 14.11.2021.