Johann Martin Bernatz
In extremis, l’Encyclopaedia Aethiopica a ajouté, sous la plume de Richard Pankhurst, le peintre allemand Johann Martin Bernatz dans ses Supplementa. Comment pouvait-on penser à une encyclopédie en éludant l’un des plus grands voyageurs illustrateurs en Ethiopie au XIXème siècle ? Les représentations des paysages éthiopiens et du mode de vie dans la première moitié de ce siècle ne sont pas pourtant légion.
Johann Martin Bernatz , né à Speyer en 1802, mort à Munich en 1878, est un artiste et illustrateur allemand qui voyage au Moyen-Orient en 1836-37 et à son retour publie un volume d’illustrations intitulé Bilder aus dem heiligen Lande (Stuttgart 1839). Ayant pris goût, il veut reproduire l’expérience en Inde sans toutefois y parvenir. En 1841, il accompagne la mission britannique de William Cornwallis Harris au Choa. Celle-ci débarque à Tadjourah, traverse le pays Afar puis la rivière Awash et atteint Ankober. Durant le trajet, Bernatz reprodruit fidèlement les habitations, les habitants, les animaux et ne lésine pas sur les détails botaniques. La mission séjourne dix-huit mois en Ethiopie. De retour en Europe en 1843[1], il se charge de l’atlas accompagnant le mémoire de Harris : The Highlands of Aethiopia[2] (1844), publié une année après les volumes de texte et intitulé : Illustrations to the Highlands of Aethiopia[3] (1845). Plus tard, il publie à son nom, un atlas composé de lithographies en couleurs accompagnées d’une description extraite d’un journal de voyage (sans préciser lequel), intitulé Scenes in Ethiopia (1852) et Bilder aus Aethiopien[4] (1854). Son œuvre rencontre un succès retentissant auprès de géographes et d’intellectuels comme Alexander von Humboldt et Heinrich Barth. Heuglin et Barth, pour ne citer qu’eux, en appelleront à Bernatz pour illustrer leur récit de voyage. Aujourd’hui, les originaux de Bernatz sont préservés au Frobenius Institut de Francfort.
Richard Pankhurst souligne l’intérêt historique et ethnographique qu’apporte le témoignage de Bernatz. Sophia Thubauville et Wolbert G.C. Smidt le confirment dans le journal Ityopis (2015)[5] et mettent à la disposition des Éthiopisants quelques illustrations détenues par l’Ethnographic Picture Archive of the Frobenius Institute. Bernatz fait incontestablement autorité et son atlas fait partie des clés de voûte d’un collection sur l’Ethiopie.
Ceci dit, le manque d’information reste patent. À l’avenir, il sera nécessaire de comparer la collation des deux éditions de l’atlas de Bernatz et de celui de Harris. Alors un répertoire des illustrations de l’artiste prendra tout son sens.
Bernatz nous a également laissé une peinture à l’huile signée[6] (dimensions de la toile 37,5 cm. x 48 cm.) et datée de l’année 1845, peu de temps après son retour. La scène représente le retour d’une campagne militaire contre les Oromos du négus du Choa Sahlä Sellase (1795-1847). Le souverain est accueilli triomphalement par ses prêtres. Harris Cornwallis, le chef de la mission britannique qui l’accompagne, décrit la scène : « Here a deputation of priests, clad in snow-white garments, received the victorious monarch with a blessing, and under a volley of musketry, His Majesty proceeded to ascend »[7]. Bernatz assiste également à cette scène qui précède le retour du négus à Ankober, une des trois villes royales que comprend le Choa : Ankober, Angolala et Debre Berhan. Un autre témoin oculaire, avec la charge d’interprète, est le missionnaire protestant Johann Ludwig Krapf qui ne détaille pas la scène. Cependant, il nous apprend qu’il prend congé du négus et de la mission le 10 mars 1842[8]. Par conséquent, on peut en déduire que la scène a lieu entre juillet 1841 et mars 1842.
Même si le thème de la peinture est toujours le même, la composition connaît plusieurs variantes. Au centre le négus du Choa Sahlä Sellase sur son cheval que protègent du soleil deux ombrelles. À gauche s’étend son armée ; à droite les prêtres qui l’accueillent. La comparaison des quatre sources : la peinture, l’illustration en page 15 du journal Ityopis et celle des atlas Scenes in Ethiopia[9] et Bilder aus Aethiopien fait apparaitre un arrière-plan montagneux différent, le cheval du négus tantôt en mouvement, tantôt à l’arrêt et un groupe de prêtres moins accueillants dans la peinture. La peinture laisse une impression d’un scène plus statique que les lithographies.
Dans l’atlas Bilder aus Aethiopien, le texte en regard de la planche numéro XXII confirme la présence du négus et des prêtres au premier plan. La ville que l’on devine sur la montagne en partie gauche de l’arrière-plan est la ville d’Ankober, vue du côté ouest. Le souverain descend de sa monture et, entouré de ses prêtres, gravit la montagne escarpée pour entrer dans l’église de Saint-Michel où il assiste à une grand-messe. Puis a lieu la procession triomphale et solennel dans la capitale.
Un événement de 1841 ou de 1842, somme toute anecdotique, mais qui a traversé les siècles pour nous parvenir en peinture et en gravure grâce à Johann Martin Bernatz.
Biblethiophile, 25.07.2023, mise-à-jour 18.06.2024.
[1] https://www.biblethiophile.com/document/three-hundred-years-of-ethiopian-german-academic-collaboration/, p.13.
[2] https://www.biblethiophile.com/document/the-highlands-of-aethiopia/.
[3] Deux exemplaires sont accessibles sur la toile, à la New York Public Library et à la collection SP Lohia.
[4] https://www.biblethiophile.com/document/bilder-aus-aethiopien/
[5] http://www.ityopis.org/Issues-Extra-1_files/ityopis-extra-thubauville-smidt.pdf, consulté le 16.06.2024.
[6] https://www.biblethiophile.com/document/return-from-the-field-and-reception-of-the-king-by-the-priests/
[7] https://www.biblethiophile.com/document/the-highlands-of-aethiopia/, p. 128.
[8] https://www.biblethiophile.com/document/travels-researches-and-missionary-labours-during-an-eighteen-to-jagga-usambara-ukambani-shoa-abessinia-and-kartum-and-a-coasting-voyage-from-mombaz-to-cape-delgado/, p. 87.
[9] https://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2017/bonham-so-l17415/lot.48.html, consulté le 16.06.2024