Les Thesiger

Les Thesiger et l’Éthiopie

L’intérêt des Thesiger pour l’Éthiopie s’étend sur plus d’un siècle ; naissant en 1868 avec Frederic Augustus Thesiger ; se prolongeant avec son fils diplomate Wilfred Gilbert Thesiger et atteignant son apogée avec l’explorateur photographe Wilfred Patrick Thesiger. Ces trois générations méritent un coup de projecteur.

Frederic Thesiger (1er baron Chelmsford)Frederic Augustus Thesiger (2ème baron Chelmsford)Wilfred Gilbert Thesiger Wilfred Patrick Thesiger

Frederic Thesiger (1er baron Chelmsford)

Le juriste britannique et homme politique Frederic Thesiger (1794-1878)[1], 1er baron Chelmsford depuis 1858, est nommé Lord Chancellor pour la seconde fois, de 1866 à 1867, puis remplacé par Lord Cairns juste avant le débarquement à Annesley Bay de la force britannique commandée par Sir Robert Napier.

Frederic Augustus Thesiger (2ème baron Chelmsford)

En 1867, Frederic Augustus Thesiger[2] (1827-1905), 2ème baron de Chelmsford, fils du 1er baron Chelmsford, est colonel dans l’armée de sa Majesté la Reine Victoria. Le 21 décembre, Sir Robert Napier recrute Thesiger par télégramme. Cinq jours plus tard, le colonel se met route pour rejoindre Zulla et prendre sa fonction de Deputy-Adjutant-General dans l’état-major du lieutenant-général[3]. Il est tout naturel de s’attendre à le trouver dans l’album officiel de photographies prises par le sergent John Harrold et ses hommes, plus précisément sur le cliché numéroté 49. Au désarroi des lecteurs modernes, l’image ne porte qu’une légende pour le moins laconique et, à ce jour, aucune publication aisément accessible ne permet d’identifier les figurants. Mais il ne faut jamais désespérer ! Le bibliophile Humphrey Winterton — encore lui ! — était l’heureux détenteur, certes d’un exemplaire de l’album du sergent mais également du scrapbook[4] du colonel James Augustus Grant, le célèbre compagnon de Speke. Or, en 1868, Grant est également membre de l’état-major aux manettes de l’expédition punitive. Par conséquent, il est bien habilité à légender une photographie sur laquelle il figure. Cependant, rien ne nous permet d’affirmer que la légende manuscrite soit bien de sa main. Quoi qu’il en soit, la légende désigne l’officier à droite de Napier comme étant Thesiger. Sur cette photographie, Napier et Thesiger sont âgés respectivement de 58 ans et 41 ans. Le public britannique ne garde pas en mémoire les faits et gestes de Thesiger en Abyssinie mais plutôt ses déboires au commandement de la guerre anglo-zouloue.

Wilfred Gilbert Thesiger

Wilfred Gilbert Thesiger (1871-1920), fils de Frederic Augustus Thesiger, est diplomate plénipotentiaire britannique à Addis-Abéba de décembre 1909 à début 1919[5]. Il ne rencontre pas le negusä nägäst Ménélik II, déjà retiré du pouvoir[6]. En 1911, il escorte le ras Kassa en Angleterre au couronnement du roi George V. À son retour, l’Abyssinie entre dans une période troublée par l’avènement du lidj Iyasu. La famille Thesiger est en Angleterre pour un congé lorsque la Première Guerre mondiale éclate. À condition de retourner en Abyssinie à la fin de son congé, l’armée accepte d’engager Wilfred le 14 août 1914. Cinq mois plus tard, les Thesiger sont de retour à Addis Abeba. Le 27 septembre 1916, un coup d’état renverse le gouvernement du lidj Iyasu. Le 11 février 1917[7], Zäwditu, la fille de Ménélik, est couronnée nəgəstä nägäst, Tafari Makonnen promu ras puis nommé régent et héritier du trône[8]. Thesiger est un ami intime de Tafari mais il n’aura pas l’honneur de connaître le destin du ras car, retourné en Angleterre avec sa famille début 1919, il meurt subitement une année plus tard.

La coupe Thesiger

Dans son édition du 3 mars 1921, le journal Le Jockey nous apprend que le Club Impérial, fondé en 1908, a organisé, le 12 juin de l’année précédente, des courses de chevaux. La sixième est en hommage à Thesiger :

Coupe Thesiger (offerte par feu l’Hon. W.-G. Thesiger au conditions suivantes : La coupe devra être gagnée trois années de suite par la même écurie pour devenir la propriété du gagnant). — Ouverte à tous chevaux appartenant à S. M. l’Impératrice Zauditou, à S. A. I. le Ras Taffari, aux membres de l’Impérial Club et aux membres des légations. Exclusivement réservée aux chevaux abyssins (Course plate, 2,000 m., poids minimum 70 k. Prix : 1er coupe et 250 fr., 2e 250 fr., 3e 100 fr. Inscription : 100 fr.). Huit chevaux engagés.

­Photo de groupe

Dans le récit des sept années passées en Éthiopie, le consul Arnold Wienholt Hodson nous offre la photo de groupe prise à la légation britannique sur laquelle figure le ras Tafari portant des lunettes de soleil rondes; derrière lui le consul Gerald Campbell ; et tout à droite de l’image Wilfred Gilbert Thesiger.

Wilfred Patrick Thesiger (1910-2003)[9]

Wilfred Thesiger fait partie des rares Européens qui sont nés en Éthiopie et qui toute leur vie seront influencés par leurs racines. Le défilement du bataillon du Choa, en route vers le Nord livrer bataille au négus Mikaël, impressionne indéfectiblement l’enfant de six ans. Le fils du ras Tafari, Asfaw Wossen, prend refuge à la légation britannique et resserre les liens entre Wilfred, père et fils, et le pouvoir éthiopien.

En 1919, son père diplomate est rappelé en Angleterre, obligeant le garçon à se conformer à la vie occidentale et aux codes de l’école anglaise. L’épreuve est d’autant plus douloureuse, qu’une année seulement après leur départ d’Addis Abeba, son père meurt brutalement. Au cours de la décennie suivante, l’Éthiopie n’est plus au centre de ses préoccupations.

Le couronnement d’Haïlé Sélassié

En 1930, le ras lui rappelle ses origines en le conviant à son couronnement. Le Foreign Office le nomme au titre d’attaché honoraire auprès du duc de Gloucester, représentant son père, le roi George V. Insigne honneur, l’empereur lui accorde une audience privée. On relèvera pour l’anecdote que le père figure sur la photo prise le jour de l’investiture du ras à la régence de l’Éthiopie et le fils sur celle prise le jour de son couronnement empereur.

La flèche montre Wilfred Patrick Thesiger

Le pays danakil

Ne perdant aucune occasion, Thesiger décide d’explorer le pays danakil et notamment le sultanat d’Aoussa. Même si sa première exploration est contrainte à faire demi-tour à Bilen, le désir irrésistible d’aller là où d’autres ne sont jamais allés l’obsède. Le 8 septembre 1933, il est de retour en Abyssinie pour explorer l’Aoussa et découvrir ce qu’il advient de l’Aouache. La première tentative est un échec. Cautionnée par le Dr Martin[10], la seconde tentative est couronnée de succès. Elle quitte le chemin de fer le 8 février 1934 et s’embarque sur un dhow à Tadjourah le 23 mai. Wilfred Thesiger devient le premier Européen à avoir exploré le sultanat d’Aoussa. On ne le reverra plus en Abyssinie avant l’entrée de la Force Gidéon.

La force Gidéon

Thesiger est affecté à Kutum au Nord Soudan (1935-1937) et au Sud Soudan (1937-1940). On notera qu’au cours de son affectation, il rencontre, entre autres, le colonel Hugh Boustead et Charles Dupuis et qu’à l’occasion d’un congé en Angleterre, il assiste à l’arrivée à la gare de Waterloo de l’empereur Haïlé Sélassié qui le reçoit deux jours plus tard. En 1939, l’amoureux des déserts démissionne de son poste dans le Nuer occidental. En mai de l’année suivante, il est affecté à Gallabat, à la frontière soudano-éthiopienne. Le 10 juin, l’Italie entre en guerre. Le bataillon de Thesiger accueille la nouvelle en mitraillant les positions occupant Metemma.

Même si l’auteur de La vie que j’ai choisie ne mentionne pas les précurseurs que sont Monnier, Barontini, Ukmar et Rolla, il reconnaît que:

[…] la résistance abyssinie sauva le Soudan de l’invasion alors que ce pays de trouvait pour ainsi dire sans défense. De la même façon […], par la suite, elle faciliterait considérablement la conquête de toute l’Afrique orientale italienne.

Malgré que son journal lui ait été confisqué, Thesiger garde en mémoire des souvenirs précieux de sa participation à la Force Gidéon commandée par le colonel Orde Wingate. Les rapports qu’il a avec ce dernier sont prévisibles. Les seuls objectifs qui les font converger sont la libération de l’Abyssinie et la restauration de l’empereur sur son trône. Thesiger retrouve le colonel Sandford qui est un ami de longue date de la famille. La campagne du Godjam atteint son objectif et se termine par un banquet que l’empereur donne au palais en l’honneur des officiers britanniques ayant servi dans son armée.

Après la libération de l’Éthiopie

En octobre 1943, Haïlé Sélassié rappelle Thesiger et l’affecte à Dessie. L’explorateur démissionne après une année et quitte l’Abyssinie pour assouvir son désir de découverte. Ce n’est qu’en janvier 1959 qu’il retourne à ses racines et se laisse impressionner par Lalibela. Au mois de mars, on le retrouve à Addis-Abéba avant de se mettre en route pour Soddo, à la frontière avec le Kenya. Après un court séjour en Europe, il décide de parcourir tout le Nord pendant toute l’année 1960. À l’occasion des célébrations du 25ème anniversaire du retour d’Haïlé Sélassié, Thesiger se mêle aux vétérans qui ont servi sous les ordres de Wingate dans la campagne du Godjam.

Le récit La vie que j’ai choisie paru sous le titre original The Life of My Choice est rédigé en 1986. L’auteur n’y mentionne aucun retour en Éthiopie depuis 1966. La mort de l’empereur, la prise de pouvoir de Mengistu et les famines ne sont certainement pas étrangères à son absence sur la terre qu’il affectionne. Une année plus tard paraît Visions of a Nomad, Visions d’un nomade en français. Les photos se rapportant à l’Éthiopie ont été prises au cours des voyages de 1959-1960.

En 1996, il publie The Danakil diary, paru en français sous le titre Carnets d’Abyssinie dans lequel il reproduit de longs passages de La vie que j’ai choisie et utilise des lettres envoyées à sa mère. Le récit concerne les années 1930 à 1934.

Wilfred Patrick Thesiger meurt en 2003.

Biblethiophile, 09.08.2020, révisé et complété le 10.02.2025


[1] Frederic Thesiger sur wikipedia, consulté le 01.02.2025

[2] Wikipedia, consultée le 23.12.2024

[3] Holland, p. 428.

[4] Sorte d’album de découpures abrité désormais par la Herskovits Library of African Studies, Northwestern University Libraries. « Scrapbook. Pictures of people and places at home & abroad. African and other photographs.« , The Humphrey Winterton Collection of East African Photographs: 1860-1960 Sun Feb 02 2025.

[5] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 4, p. 949.

[6] THESIGER (Wilfred, Patrick), La vie que j’ai choisie, p. 39.

[7] HODSON, Seven Years in Southern Abyssinia, p. 133.

[8] ROUAUD (Alain), MORIN (Didier) et alii, L’ascension du ras Tafari & La naissance de l’Éthiopie moderne, Pount, numéro 7, 2013, p. 14.

[9] THESIGER (Wilfred, Patrick), op. cit., est la source principale de ce chapitre, à l’exception des sources explicitement mentionnées.

[10] Dr. Charles Martin ou Hakim Wärqenäh Eshäté naît à Gondär en 1865. Âgé de trois ans, il est trouvé sur le champs de bataille à Magdala et emmené en Inde par le colonel Charles Chamberlain. À la mort de ce dernier, il est adopté par le colonne Charles Martin. Après un parcours bien documenté par Peter P. Garreston, A Victorian Gentleman & Ethiopian Nationalist, James Currey, 2012, il se retrouve à Addis Abeba en même temps que Thesiger et exerce comme médecin à la légation britannique. Les deux hommes se sont immanquablement rencontrés.