Henry Aaron Stern

↗ 1860 (02) ↘ 1860 (11) ↗ 1863 (01) ↘ 1868 (05)

La vocation d’un converti

Henry Aaron Stern naît à Unterreichenbach (Hesse Cassel) en 1820[1]. Précocement, il abandonne la religion juive au profit du protestantisme prosélytique prôné par la London Society for promoting Chistianity among the Jews. Il est baptisé à Londres en 1840, ordonné diacre quatre ans plus tard à Jérusalem et admis à la prêtrise en 1849[2]. Une année plus tard, il prend le temps de demander Charlotte Elisabeth Purday en mariage. Son sacerdoce le mènera au Moyen-Orient, en Arabie et à Constantinople en 1853, à l’aube de la guerre de Crimée qui s’étend de 1853 à 1856. Son biographe publie une gravure qui le représente à vingt-six ans lorsqu’il est envoyé comme missionnaire en Arabie[3].  Le journal qu’il publie au terme de cette mission décrit un parcours aboutissant à Aden le 6 décembre 1856[4]. À ce stade de sa biographie, Stern a acquis l’expérience de terrain qui lui permettra de supporter les épreuves que la deuxième partie de sa vie lui réservera.

Les précurseurs

Mais avant d’aborder cette nouvelle page du sacerdoce de Stern, il n’est pas incongru de tourner le regard vers l’Éthiopie, de l’autre côté du golfe d’Aden. Le secrétaire de la Society est d’une bonne aide pour comprendre le prosélytisme dans ce pays[5]. Sans se préoccuper des tentatives jésuites du XVIIème siècle, Gidney prend comme point de départ l’évangélisation des Éthiopiens par le missionnaire protestant suisse Samuel Gobat et son coreligionnaire Kugler. Au lieu de son choix de l’année 1826 qui voit les deux religieux occupés à préparer leur mission en Égypte, il serait plus précis de retenir l’année 1829 correspondant à la première mission de Gobat en Éthiopie et 1836 pour celle de son dernier séjour, dix ans avant son épiscopat hiérosolymitain. Ces deux précurseurs sont envoyés par la Church Missionary Society (C.M.S.)[6]. En 1855, toujours aussi zélé, Gobat envoie Krapf et Flad auprès du tout fraîchement couronné negusä nägäst Tewodros II pour lui demander l’autorisation de prêcher l’évangile dans son royaume. Novembre de la même année, l’accord en poche, les missionnaires formés par la St. Chrischona-Pilgermission de Bâles, Flad, Bender, Mayer et Kienzler poussent leurs dix-neuf dromadaires chargés de bibles en amhariques à franchir la frontière soudano-éthiopienne. Pendant deux ans, les missionnaires distribuent le Nouveau Testament et les Psaumes en langue vernaculaire à qui mieux mieux. En 1858, Flad quitte l’Éthiopie pour des raisons de santé et, ayant constaté que les Falaschas étaient les plus réceptifs à leurs cadeaux, il retourne en fin d’année avec trente-cinq vaisseaux du désert chargés d’écritures saintes. Les rapports enthousiastes de Flad arrivés à Bâle persuadent la London Society for promoting Chistianity among the Jews de dépêcher en Éthiopie le missionnaire idoine : Henry Aaron Stern.

La première mission en Éthiopie d’Henry Aaron Stern

Le 5 septembre 1859[7], Stern prend son bâton de pèlerin et guide Stephen Bronkhorst[8], son étudiant du Hebrew College. Alors que la ville de Khartoum les voit apparaître le 18 janvier 1860, Issacs ne relève pas la date de leur arrivée à Matamma qu’il est raisonnable de fixer à mi-février au plus tard. Une anecdote relatée dans sa biographie[9] revêt une importance singulière pour les études éthiopiennes car elle confirme que le missionnaire maîtrise la photographie à tel point qu’il montre à des moines stupéfaits le portrait de l’Aboune. Dans un autre registre, la découverte de caisses remplies de bibles déposées sur une île du lac Tana est un épisode que Stern fera remonter à ses supérieurs et qui, d’après son biographe, lui mettra à dos ceux qui avaient affirmés les avoir toutes distribuées. À la lecture de son récit intitulé Wanderings among the Falashas in Abyssinia; together with a Description of the Country and its Various Inhabitants, paru en 1862, il faut se faire une raison et se contenter de la partie descriptive tant l’absence de dates est flagrante, détails tangibles rares. Par exemple, la mort au mois de février du consul britannique Walter Plowden ne transparaît qu’au détour d’une phrase et celle, le 31 octobre,  de son compatriote et ami Bell n’y figure pas. Or il affirme qu’il est à Genda entre le 8 et le 18 octobre[10] et devrait par conséquent en avoir été informé. Gidney nous apprend l’existence d’une lettre de Stern datée du 19 décembre 1861 à Khartum qui confirme que Flad, toujours missionné par Gobat, lui a apporté une grande aide. D’autres sources précisent que Flad a fait l’interprète pour Stern et Bronkhorst. Au mois d’avril 1861, Charlotte a la joie de retrouver Henry.

La seconde mission en Éthiopie d’Henry Aaron Stern

Charlotte Stern ne peut se réjouir que pendant dix-sept mois car, au mois de septembre 1862, son bougillon de mari repart pour sa seconde mission en Éthiopie, accompagné de M. Henry Rosenthal, né à Fürstenburg dans le Mecklemburg et de son épouse Mme E. Rosenthal[11] ; un couple qui s’en va vers un martyre que les études éthiopiennes ont malheureusement délaissé. Pendant cette année 1862, le gouvernement britannique n’est pas resté les mains croisées et a nommé à la succession de Walter Plowden le capitaine Charles Duncan Cameron consul britannique en Éthiopie[12]. Ce dernier est reçu par le negusä nägäst Tewodros II au mois d’octobre. Un mois plus tard, l’empereur lui remet une lettre pour la reine Victoria que le consul n’achemine pas personnellement mais qu’il confie à un messager avant de se rendre à Cassala et Matamma enquêter sur le trafic d’esclaves, ignorant que le gouvernement britannique lui a donné l’ordre de retourner sur la côte. Sur ces entrefaites, nos missionnaires débarquent à Massaoua le 21 décembre[13] et, dûment autorisés par Tewodros à entrer dans son royaume, arrivent à Genda au mois d’avril 1863. Deux mois plus tard, Cameron, lui, arrive de la côte les mains vides. L’imbroglio qui s’en suit et qui conduira à l’expédition armée britannique de 1868 est un sac de nœuds. Les acteurs, les metteurs en scène, les spectateurs, chacun y met du sien pour culpabiliser l’autre : les propos irritants de Stern sur la mère de Tewodros insérés dans son dernier livre[14] ;  les faits et gestes de Cameron ; l’absence de réponse du gouvernement britannique à la lettre de Tewodros ; la demande sans réponse de Tewodros d’artisans qualifiés européens ; la perte de confiance de Tewodros aux deux puissances que sont la France et l’Angleterre après la mort de ses deux conseillers et amis Bell et Plowden ; les intrigues de la France nourries par Lejean et Bardel ; les rapports entre l’empereur et l’Aboune ; les perspectives que le projet du Canal de Suez fait miroiter ; le doublement des cours mondiaux du coton qui force le respect de l’Egypte ; etc., etc. La liste est aussi longue que celle des sources et des monographies. Quelle que soit la cause, son témoignage apparu sous le titre The Captive Missionary: being an account of the country and people of Abyssinia. Embracing a narrative of King Theodore’s life, and his treatment of political and religious missions, nous apprend que son incarcération par Tewodros a lieu quelques jours après le 13 octobre 1863 et qu’il recouvre la liberté le 18 avril 1868, délivré par l’armée britannique.

Le calvaire des Rosenthal

Le calvaire des Rosenthal[15] mérite que l’on s’y attarde. Rappelons qu’en 1863 le couple de missionnaire accompagnant Stern arrive à Genda. Peu de temps après l’incarcération de ce dernier, le 5 novembre d’après Donald Crummey, Henry Rosenthal est enchaîné par Tewodros pour n’être libéré qu’en avril 1868. Hormis le fait que la chaîne reliant sa main gauche à celle entravant ses pieds est tellement courte qu’il ne peut se tenir debout[16], Henry Rosenthal a la douleur d’être privé de liberté alors que son fils né en Éthiopie n’a que quelques mois[17]. Le pauvre enfant meurt le 11 décembre 1865[18], à l’âge de 2 ans. Stern et McKelvey habillent le corps de l’enfant avec leur main gauche. La tombe est creusée à proximité de leur prison et le service funèbre assuré à une main par Stern. L’épreuve a dû être éprouvante pour Mme Rosenthal, enceinte de son deuxième enfant. Le 18 décembre[19], elle accouche d’une fille qui meurt un mois après son frère, le 11 janvier 1866[20]. La tombe est réouverte et la service répété. Le rapport de Holland et Hozier ainsi que les photos des prisonniers montrent que les Rosenthal ont eu un troisième enfant, né de parents enchaînés mais désormais libre.

Ce que Tewodros a admiré

On sait désormais que Tewodros a eu entre les mains le premier livre de Stern concernant l’Éthiopie et qu’il en a admiré les gravures. En dressant la liste des gravures, il est intéressant de s’imaginer le negusä nägäst admirer les illustrations suivantes :

  1. Gravure hors texte légendée : WOCHNEE
  2. Gravure dans le texte sans légende représentant un soldat, une personne assise, un village et un troupeau de bœufs en arrière-plan.
  3. Gravure dans le texte sans légende représentant un village au pied d’une montagne.
  4. Gravure hors texte légendée : ABOONA SALAMA, METROPOLITAN OF ETHIOPIA.
  5. Gravure hors texte légendée : DEBRA TABOR.
  6. Gravure dans le texte sans légende représentant une église au sommet d’une colline.
  7. Gravure hors texte légendée : RIVER ERIB
  8. Gravure dans le texte sans légende représentant un marais ou un lac avec deux hippopotames.
  9. Gravure hors texte légendée : GONDAR
  10. Gravure dans le texte sans légende représentant un château.
  11. Gravure dans le texte sans légende représentant vestiges à coupoles et deux cavaliers.
  12. Gravure hors texte légendée : FALASHA VILLAGE, BALANKAB.
  13. Gravure dans le texte sans légende représentant une église dans son enclos.
  14. Gravure dans le texte sans légende représentant un rassemblement de personnes sous un arbre majestueux.
  15. Gravure dans le texte sans légende représentant la vue d’une falaise et d’une succession de vallées en arrière-plan.
  16. Gravure dans le texte sans légende représentant un rassemblement de personnes, quatre femmes assises au premier plan et des hommes gardant les mulets au deuxième plan.
  17. Gravure hors texte légendée : THE AUTHOR PREACHING TO THE FALASHAS AT SHARGEE.
  18. Gravure dans le texte sans légende représentant un soldat en faction avec lance et bouclier.
  19. Gravure hors texte légendée : ABYSSINIAN LADIES AND FEMALE ATTENDANTS.
  20. Gravure dans le texte sans légende représentant deux femmes dont l’une pille.

Il serait trop prétentieux de prétendre déchiffrer la pensée de Tewodros à la vue de ces gravures. Cependant, une hypothèse peut être émise sans nuire à la vérité.

Tewodros a très certainement remarqué que son portrait est absent alors que celui de son Aboune y figure. Certes, Stern confirme dans son journal avoir photographié Salama. Aucune source ne parle d’un cliché de Tewodros. Ceci dit, Stern aurait pu le reproduire de mémoire car il était en bon terme avec lui lors de son premier voyage. En évoquant ces photographies de Stern, on est en droit de se poser la question de leur devenir. Il est très frustrant de ne pas pouvoir confirmer que les gravures hors-texte ont été faites à partie des clichés du missionnaire photographe et que ces derniers sont entreposés quelque part en Angleterre dans les archives de la London Society for promoting Chistianity among the Jews.

L’avenir nous le dira.

Biblethiophile, 11.10.2024


[1] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 4, p. 749. Shalva Weil survole le parcourt du missionnaire.

[2] ISAACS (Albert Augustus, Rev.), Biography of the Rev. Henry Aaron Stern […], p. 57. L’auteur a accès au journal de Stern et le connaît personnellement. Ses contacts remontent jusqu’au décès de Stern en 1885, un an avant la sortie de cette biographie.

[3] Ibid., entre les pages 102 et 103.

[4] STERN (H. A.), Journal of a missionary journey into Arabia Felix, undertaken in 1856, Wertheim, Macintosh, and Hunt, London, 1858, consulté en ligne le 06.10.2024.

[5] GIDNEY (Rev W. T.), The History of the London Society for Promoting Christianity amongst the Jews, from 1809 to 1908, London Society for Promoting Christianity amongst the Jews, London, 1908, p. 368.

[6] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 2, p. 818.

[7] ISAACS, op. cit., p. 147.

[8] GIDNEY, op. cit., p. 295.

[9] ISAACS, op. cit., p. 184.

[10] STERN (Rev. Henry A[aron]), Wanderings among the Falashas in Abyssinia […], p. 273.

[11] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 4, p. 413. On notera les maigres sources à la disposition de Donald Crummey.

[12] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 1, p. 678.

[13] GIDNEY, op. cit., p. 371.

[14] STERN, Wanderings, op. cit., p. 63.

[15] UHLIG (Siegbert), BAUSI (Alessandro) et al., Encyclopaedia Aethiopica, tome 4, p. 413, sous la plume de Donald Crummey.

[16] BEKE (Charles T[ilstone]), The British captives in Abyssinia, Longmans, frontispice.

[17] ISAACS, op. cit., p. 316.

[18] Ibid., p. 337.

[19] Ibid., p. 317.

[20] Ibid., p. 317.